Certains sourires mériteraient d’entrer au Louvre. Celui d’Anne Hathaway trouverait sa place à côté de la Joconde. Depuis “Princesse malgré elle”, son premier succès, l’actrice a conservé sa grâce surnaturelle. Reine des comédies, l’actrice aborde avec génie tous les rôles. De l’épouse de Jake Gyllenhaal dans le douloureux Le Secret de Brokeback Mountain aux voltiges de Catwoman – captées par Christopher Nolan, qui la sublimera dans Interstellar –, sans oublier le rôle de Fantine qui lui valut un Oscar, ou celui de Solène, une célibattante de 40 ans mordue d’un chanteur de 24 ans, dans L’idée d’être avec toi, on dirait qu’Anne sait tout jouer. Il se murmure même qu’elle se battra à mains nues avec des dinosaures dans Flowervale Street, annoncé en 2025…
Ce n’est pas tout : par-delà les écrans, l’artiste s’impose depuis plusieurs années comme une icône de la mode. Tantôt vêtue d’une tenue de ski Bulgari, d’une robe Armani Privé, d’un total look Louis Vuitton, d’une jupe en cuir Alaïa, d’une combinaison Valentino ou enchaînant les clins d’œil à son mythique personnage d’Andy Sachs, chacune de ses apparitions fait date. Au point qu’un autre mythe, Donatella Versace, l’a choisie comme égérie de sa nouvelle campagne Versace Icons.
Derrière toute image, palpite cependant un cœur complexe. Derrière toute star, un humain aux prises avec l’existence. Quelle femme se cache derrière l’astre Hathaway ? Dans un dialogue à bâtons rompus, c’est ce que l’écrivain Arthur Dreyfus a voulu percer à jour. Quoique les choses n’aient pas démarré comme prévu… puisque c’est Anne qui lui pose la première question.
Anne Hathaway se livre à coeur ouvert pour face à Arthur Dreyfus pour Vogue France
Anne Hathaway. Bonjour Arthur, vous avez passé de belles vacances ?
Vogue France. Oui et non, pour être honnête.
Oh mince, que s’est-il passé ?
Eh bien, parfois on s’attend à ce que les vacances soient parfaites. Et ce n’est pas la carte postale rêvée. L’injonction de profiter, de se détendre, produit en moi l’effet contraire. Ça nourrit une mélancolie, je crois. Et c’est absurde d’être mélancolique à la plage.
Je comprends parfaitement ça. Vous avez des raisons d’être mélancolique en ce moment ?
Vous êtes adorable, Anne. Mais je m’en voudrais d’envoyer à Vogue une interview de moi par vous. On m’a commandé le contraire ! Alors permettez-moi de vous retourner la question : avez-vous pris des vacances ou avez-vous travaillé cet été ?
[Un vaste sourire plein de souvenirs.] Les deux. J’ai travaillé sans relâche pendant quatre ans. Alors, j'étais vraiment prête pour des vacances…
Avez-vous réussi à vous détendre ?
Mais tellement ! Relaxée de la tête aux pieds. C’était top. On était en Europe, on a vu pas mal d’amis, on a vraiment pris le temps de débrancher. Et on a cuisiné… beaucoup cuisiné !
J’aimerais commencer par le commencement : la petite Anne naît à Brooklyn. Mais faut-il dire Anne ou Annie ?
Anne, c’est mon nom de naissance, mais tout le monde m’a toujours appelée Annie. Enfant, la seule fois où j’entendais “Anne”, c’était le jour de la rentrée. Bon et quand ma mère était en colère, je pouvais entendre “Anne” aussi.
Il est amusant d’imaginer qu’une future actrice naviguait dès l’origine entre deux noms ! Vous sentiez-vous plus mature que les autres filles lorsque vous étiez petite ?
Je ne sais pas comment les autres filles se sentaient. Je pense qu’à bien des égards, j’étais aussi bête que tout le monde. Mais je savais très jeune, une chose : je voulais être actrice.
Certains articles disent que vous vouliez aussi être infirmière.
Infirmière, non. Même si je respecte énormément les infirmières, il y en a des tas dans ma famille. À un moment donné, en revanche, j’ai songé à bonne sœur. Mais je n’aurais pas été assez docile.
Lorsqu’il fait son coming out, Michael, ce frère aîné, est accepté à bras ouverts par vos parents cathos. Qui vous soutiennent aussi à fond, quand vous décidez d’être actrice. De l’extérieur, on dirait que vous avez grandi dans une famille parfaite…
Absolument pas. Adorable, oui, aimante, mais aucune famille n’est parfaite. Ce n’est pas parce que je reste pudique sur mon passé que les douleurs ou que les problèmes seraient absents.
De toute façon, un artiste ne saurait éclore sans une douleur, sans cicatrice primitive. Je crois que vous avez connu des périodes d’anxiété, de dépression à l’adolescence…
D’abord, je tiens à préciser que ça n’a pas concerné uniquement mon adolescence. C’est un truc sans fin, un boulot quotidien de gérer, d’équilibrer et soigner les failles qui vous constituent. C’est pour ça que le mot “parfait” est dangereux : il suggère que si on ne se sent pas “parfaitement bien”, on a échoué quelque part.
Beaucoup d’acteurs aiment se cacher derrière leurs personnages, mettre leur vie de côté pour se projeter dans un autre destin. Vous pourriez dire ça ?
Je pense en effet qu’une grande part du travail de l’artiste est de savoir s’effacer. De tout miser sur ce que le rôle peut offrir au public, plutôt que sur son petit ego.
C’est ce qui vous a attiré dans le théâtre, au début ?
C’est drôle, il y a peu, j’essayais de saisir pourquoi le métier d’actrice m’avait obsédée. Bien sûr, ces raisons évoluent. Mais une chose est sûre : petite fille, j’avais du mal à trouver ma place. Tout allait trop vite, j’étais perdue. Et ce que j’adorais au théâtre, c’est qu’un bout de papier contienne tout un monde prévisible. Alors que l’existence m’effrayait, me jeter dans ce monde clos me rassurait.
Qu’est-ce qui vous effrayait dans l’existence ?
Le côté pas de limites. Lâchée dans le vide. La scène qu’on apprend par cœur, elle se termine à un moment donné. Le côté impermanent de la vie, j’ai appris à l’apprécier après.
J’aimerais revenir sur un aspect de votre enfance. Petite, vous observiez en coulisses votre mère interpréter Fantine – le rôle qui vous vaudrait votre Oscar, dans l’adaptation des Misérables, de Tom Hooper. La fille oscarisée pour le rôle de sa mère, on dirait un scénario mal écrit…
Je sais ! Merci de le souligner !
Ce n’est pas une légende, cette histoire Disney ?
L’histoire Disney est vraie. Ma mère était la doublure de Fantine dans la première tournée nationale du musical Les Misérables. C’est donc dingue d’avoir joué ce rôle après elle.
Une autre histoire Disney, c’est la façon dont vous rencontrez votre mari, Adam Shulman, au Palm Spring Festival en Californie.
Alors là, non. Quelqu’un a bidonné cette histoire, et maintenant elle survit sur Internet… Ce n’est pas là qu’on s’est rencontrés.
Mais la partie “J’ai ressenti un truc spécial en le voyant” est-elle vraie ?
Ça, oui. J’ai tout de suite su que je l’aimais, que j’allais épouser cet homme. C’était une évidence. Ça peut paraître étrange – ou trop Disney ! – mais l’avenir m’a donc donné raison. On s’apprête à fêter notre douzième anniversaire de mariage, et tout va merveilleusement bien.
C’est une chance, d’avoir su construire un couple idéal.
Hum… Là encore, comme les vacances parfaites ou les familles parfaites, je ne crois pas trop à l’idée de “couple parfait”. Même quand tout semble idéal, le réel vous rattrape. Adam et moi avons traversé ensemble des moments d’extrême douleur. La solidité de notre relation a fait que ça nous a fortifiés.
Le couple est donc un travail ?
Bien sûr. Traverser des épreuves à deux, ça exige plus que du hasard. Il faut communiquer sans cesse. Ne pas glisser les problèmes sous le tapis en croyant qu’ils vont se résoudre tout seuls. Et ne pas partir du principe que tous les moments seront forcément beaux. Mais nous avions cette lucidité.
De l’extérieur, vous êtes la star de ce couple. Pendant longtemps, le mari a occupé cette position exposée. Est-ce encore un sujet pour un homme aujourd’hui ?
Peut-être pour certains hommes. Mais en tout cas, pas pour Adam. J’ai toujours été moi-même dans cette relation amoureuse, et lui aussi. On savait à quoi s’attendre depuis le début. Après, la notoriété impose certaines règles pratiques, mais je peux vous dire une chose : je ne suis pas célèbre à la maison ! Un autre cliché est que les mecs auraient du mal à gérer le succès de leur femme. Moi j’ai vécu le contraire, j’aimerais qu’on parle davantage de ce cas de figure.
Nombre de mes amis renoncent à avoir des enfants face à un monde qui leur paraît de plus en plus hostile. Sans parler du fait que tous les enfants se plaindront tous un jour de leurs parents ! Qu’est-ce qui vous a motivée à “prendre ce risque” ?
J’ai toujours voulu être mère. Je l’ai senti super jeune. Je savais aussi que je voulais m’investir à fond dans ma carrière, donc j’ai attendu la trentaine pour avoir des enfants. Je m’étais fixé comme objectif d’atteindre un certain niveau professionnel, avant de jongler avec les deux.
Et ça ne vous inspirait aucune peur ?
Ce qui m’inquiétait n’était pas d’avoir des enfants, mais de réussir à m’en remettre, si je n’y parvenais pas. Car j’en rêvais. Et comme mes grossesses n’ont pas toutes abouti, je suis passée par des moments super difficiles. Je remercie le ciel de vivre désormais avec deux merveilleux petits garçons qui illuminent nos vies. Quant aux reproches qu’ils auront à me faire, faites-vous plaisir, les gars ! Je pense fournir un bon boulot, mais tout parent commet bien sûr des erreurs. Je ne le découvrirai que quand ils auront 22 ans et qu’ils commenceront à voir un psy !
Revenons au cinéma. Plus jeune, vous rêvez de devenir actrice… ou bien star ?
J’ai toujours aimé le glamour. Mais les choses se confondent, car les actrices que j’idolâtrais étaient aussi des stars. Jodie Foster, par exemple : comment la classer ? Dans Contact, elle a une incontestable aura de star, mais c’est aussi une actrice géniale. Je rêvais de cette fusion.
Judy Garland et Audrey Hepburn furent vos premiers modèles, c’est bien ça ?
Alors, je les ai beaucoup admirées, mais mon premier amour, ce fut Julia Roberts. Quand je l’ai découverte, elle m’a totalement subjuguée. Ensuite, Meryl Streep m’a obnubilée. Et quand j’ai vu Cate Blanchett dans Elizabeth, ça a été le summum. C’est ce coup de foudre qui m’a donné envie de passer du théâtre à l’écran. Je ne savais pas si j’en avais les capacités, mais c’est devenu mon grand projet.
Désolé de revenir au Diable s’habille en Prada, mais nous sommes dans Vogue ! Ce n’est pas une légende que vous étiez neuvième sur la liste pour le rôle ?
C’est la vérité ! J’ignore ce que les huit autres ont pensé pour ne pas dire oui tout de suite…
Comment avez-vous senti que le scénario avait quelque chose d’unique ?
Une énergie émanait de ce projet, comme un aimant. Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu la conviction que je devais en faire partie. Le script était parfait, le potentiel de réussite immense. Je l’ai senti.
Au-delà de son succès, le film est devenu un classique de la pop culture…
C’est fou, non ? Aujourd’hui, il incarne un truc encore plus fort qu’à sa sortie. Vous évoquiez Audrey Hepburn et Judy Garland : pour moi, ce sont des actrices qui ont joué dans des classiques. Je n’aurais jamais imaginé interpréter, un jour, un rôle qui traverserait le temps !
Ce film, dites-vous, a changé votre regard sur l’industrie de la mode.
Je pense qu’avant Le Diable s’habille en Prada, je ne comprenais pas que la mode ressemblait à une famille. Le rôle d’Andy Sachs m’a fait les rencontrer, les connaître – et donc les aimer.
On pourrait aussi parler du regard de la mode sur cette œuvre.
Mais oui : beaucoup de gens qui bossent aujourd’hui dans la mode ont grandi en regardant Le Diable s’habille en Prada. Et s’ils font ce qu’ils font, c’est – en partie – parce que ce film leur a donné envie de rêver. En même temps, cette histoire ne serait pas née sans la mode. C’est méta !
Et beau, aussi, d’imaginer qu’un rôle puisse susciter des vocations…
Oui, mais parfois je culpabilise. J’espère que les jeunes qui se sont tournés vers la mode à cause de ce film ne s’attendaient pas à avoir accès, immédiatement, à un vestiaire de folie !
Pouvez-vous être méchante, comme Miranda, avec vos assistants ?
Hum… non. Je ne suis pas méchante. Ce que je peux être, c’est stressée. Et quand je suis stressée, je monte vite en intensité. Je travaille justement là-dessus, en ce moment. Enfin si quelqu’un a quoi que ce soit à me reprocher, je m’excuse d’avance. Ça me stresse, de parler de ça !
Cela vous arrive encore de passer des auditions ?
Ça fait un moment qu’on ne me l’a pas demandé, mais je le ferais volontiers. Je suis actrice.
Ce n’est pas vexant, quand on a reçu un Oscar, d’imaginer passer une audition ?
Mais non. Cette statuette signifie que j’ai été bien une fois, mais ne donne droit à aucun traitement de faveur. Si un réalisateur a besoin de me tester, aucun souci. Pour parler de l’idée d’effacement, c’est un honneur de faire la couverture de Vogue, et ce glamour compte dans ma carrière, mais dans l’idéal, je préférerais disparaître. Juste être là pour servir le rôle.
En 2010, vous disiez dans la presse : “J’ai le même sourire depuis que je suis petite. Je ne veux pas que le Botox® l’efface. Quand vous êtes acteur, votre visage doit refléter une personnalité. Sinon vous n’êtes qu’un visage.” Votre position est-elle restée la même ?
C’est étrange de commenter une phrase d’il y a quinze ans. Je sais qui était la jeune femme qui a dit ça, je sais pourquoi elle l’a dit, mais aujourd’hui, elle m’apparaît insupportable et moralisatrice. Quant à mon opinion sur ce sujet, je dirais qu’interroger les gens sur la chirurgie, c’est un peu comme leur demander s’ils ont des rapports sexuels : c’est une question extrêmement intime.
C’est une question, en tout cas, qu’on pose davantage aux femmes qu’aux hommes.
Bien sûr. C’est encore une manière de traiter différemment les femmes, c’est pourquoi je n’aime pas cette conversation… que je trouve injustement chargée. L’apparence de quiconque, ça va tellement au-delà des interventions esthétiques qu’on fait ou qu’on ne fait pas.
En même temps, le métier d’acteur repose sur le regard des autres…
Moi, ça ne m’intéresse pas de savoir ce que les acteurs font à leur visage ou à leur corps. La seule chose que je souhaite, c’est que chacun se sente radieux. Les gens font appel à la chirurgie esthétique pour toutes sortes de raisons qui leur appartiennent. Quels que soient les moyens qu’ils trouvent pour ne pas vivre écrasé par la honte ou par un déficit de confiance en soi, pour se sentir mieux, je dis bravo.
Vous êtes égérie de la campagne Versace Icons. Pensiez-vous un jour rencontrer Donatella ?
Je l’adulais, mais n’aurais jamais osé imaginer que ça puisse être réciproque ! Je croyais ne pas avoir les codes. Donc, quand elle m’a montré la collection qu’elle avait dessinée en pensant à moi, j’ai réalisé qu’il y avait une place pour moi dans la famille Versace, et ça a été une émotion incroyable. Donatella est tellement brillante, généreuse, drôle aussi. Notre amitié est un sublime cadeau.
Votre image dans cette campagne est très fierce. Presque dark. Femme fatale.
J’ai découvert que j’avais bien un style Versace ! [Rires.] Et je ne suis pas sûre que ça aurait pu coller quand j’avais la vingtaine. Mais au seuil de la quarantaine, je me perçois différemment, j’aime aller rencontrer de nouvelles facettes de moi-même. Dont celle-là, oui.
On est bien loin de la nonne que vous rêviez de devenir, petite fille.
On a souvent dit que la comédie me convenait mieux, à cause de cette image de “good girl” que je peux avoir. Mais en repensant à ce qu’on disait sur le jeu, je crois que l’un des privilèges du métier d’actrice est de ne jamais enfermer ou limiter son identité. Je me sens fluide, en constante évolution. J’aime m’explorer.
Quels sont les jeunes créateurs et les marques que vous suivez aujourd’hui ?
N’étant pas sur les réseaux sociaux, je me fie à ma styliste Erin Walsh, on discute, c’est passionnant. Même s’il est établi, je reste émerveillée par le travail de Christopher John Rogers, par son approche des couleurs. J’adore Jacquemus. The Attico. Et Des Phemmes : leurs pièces sont dingues.
Une dernière question : si vous n’étiez pas devenue actrice, que feriez-vous, aujourd’hui ?
J’ai mille passions, mais aucune ne me remue autant que mon métier, alors je me sens chanceuse de ne pas avoir dû répondre à cette question. Cela dit, une chose se détache, c’est le développement de la petite enfance. Donc, dans une autre vie, j’aurais sans doute travaillé avec des enfants, parce que je pense que tous ceux qui aident, qui orientent les jeunes, font un travail magique… Moi aussi, j’ai une dernière question. Pourquoi étiez-vous mélancolique cet été ?
Anne Hathaway est la star en couverture du numéro de novembre 2024 de Vogue France. L'actrice primée se confie sur sa carrière, son évolution et ses projets.

Talent : Anne Hathaway
Photographe : Quentin De Briey
Réalisation : Tonne Goodman
Coiffure : Orlando Pita
Mise en beauté : Gucci Westman
Tailleur : Jacqui
Production : Rachael Evans & Leon Estrada
Le numéro de Vogue France de novembre 2024, en kiosque et en ligne dès le 30 octobre 2024
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